15 Novembre 2007
Ma petite Lili-Jeanne, ma petite boule d’amour, ma grande source de bonheur tant désirée, voici l’histoire de ta naissance…
Tu es sortie de mon ventre il y un mois; j’hésite entre le déjà un mois et le cela ne fait qu’un mois… Depuis ton départ, tout est si confus, tout est si flou que même le temps qui passe, je n’arrive plus à déterminer à quel rythme il le fait!
Nous t’attendions pour le 22 octobre 2007, mais depuis quelques semaines, je croyais que ta naissance serait le 15 octobre. Une intuition… Le 14 octobre au déjeuner, tu as eu le hoquet. J’en ai fait la remarque à ton papa. Cette journée-là, ta tante Catherine, aidée de ton papa, m’avait préparé un petit shower de bébé. Il y avait donc plein de monde dans la maison pour célébrer ton arrivée imminente. Toute l’après-midi, pendant que les invités nous cuisinaient de la bonne sauce à spaghetti, nous t’avons trouvé plutôt tranquille. Mais comme j’avais plusieurs contractions, les filles me disaient que c’était normal, que c’était signe que tu t’en venais! Toutes excitées, nous nous sommes mises à chronométrer les contractions. Pendant une heure juste avant le souper, j’en ai eu aux 5 minutes! Youhou… C’est bien vrai, c’est pour bientôt! Puis, les contractions se sont calmées.
Nous soupons, puis les gens quittent assez tôt, après tout, c’est dimanche… Il ne reste que grand-mère Mimi, Julie de Ste-Julie et Julie de L’Épiphanie quand Julie de Ste-Julie a une demande spéciale : « Moi je pars pas d’ici tant que je n’ai pas senti bouger ta fille! » Ok, alors on fait tout pour te faire bouger : le sucré, le froid, la musique sur le bedon, je m’étends sur le côté gauche; rien n’y fait. Déçue, Julie de Ste-Julie s’en va en se disant que ce n’est que partie remise puisque tu va sortir de cette bedaine d’un jour à l’autre! Un peu inquiète, je réalise qu’il est déjà 9h30 et que tu n’as pas bougé; c’est ton heure ou tu fais habituellement bien des pirouettes! Ton père t’appelle sa petite danseuse tellement tu bouges beaucoup le soir! Ta grand-mère croit que nous ne devons pas nous inquiéter et ton papa et moi, on reste positifs. Tu es probablement seulement tournée ou descendue, on ne sait pas trop! Je prends un bain pour te donner une dernière chance de nous faire un petit signe qui n’arrive pas, puis nous nous dirigeons vers l’hôpital après un bref appel à tante Denise pour avoir son avis. Il est 22h00.
C’est plutôt tranquille sur l’étage de la maternité. Je suis seule dans la salle de triage. L’infirmière met son truc pour le petit cœur sur mon ventre. À droite, au centre, à gauche… elle prend mon pouls… Mais qu’est-ce qu’elle fait? Elle nous dit qu’elle est nerveuse et qu’elle va chercher une autre infirmière. On se regarde ton papa et moi et, ne voulant surtout pas imaginer le pire, on se dit : « elle est nouvelle !».
Elle revient 10 minutes plus tard avec un docteur et une machine d’écho. Je regarde mon chum l’air de dire : « Devons-nous commencer à nous inquiéter? ». Il me fait signe que non. Je tiens sa main. Je semble voir sur le moniteur un petit cœur qui n’a aucune activité… mais ça ne peut pas être ça; de toute façon, moi, je n’y connais rien! Et puis, la docteure ouvre enfin la bouche : « Ce ne sont pas de bonnes nouvelles… » Je sers la main de ton papa beaucoup plus fort. Une petite seconde silencieuse s’écoule mais j’imagine toute sorte de possibilités suite à cette phrase; je pense que tu es malade, en détresse, que tu as un problème qu’ils n’avaient pas vu aux échographies précédentes, mais jamais je veux penser à ce qui va tomber ensuite et me déchirer l’âme de nouvelle petite maman que je devenais : « …son petit cœur a arrêté de battre! ». J’ai serré encore plus fort la main de ton papa qui ne semblait pas comprendre. Il a regardé mes yeux, vu mes larmes, et il a entendu à retardement… Puis, nous nous sommes effondrés!
Notre docteure est venue nous voir. Elle n’y croyait pas elle non plus; nous nous sommes vu jeudi dernier, il y à peine 3 jours, et ton petit cœur battait très bien! On nous a assigné une chambre, nous avons pleuré, pleuré et pleuré encore.
Nous avons contacté nos familles. Tante Denise s’est chargé d’annoncer la triste nouvelle à tes grands-parents Hélène et Mario. Ils se sont immédiatement dirigés vers l’hôpital, en pleine nuit, malgré les 5 heures de route qu’ils avaient à faire. Ils avaient si hâte de te rencontrer, ils ne voulaient surtout pas manquer les quelques heures que tu pourrais partager avec nous. Tante Catherine a appelé tes grands-parents Guy et Mimi.
Le lendemain, j’avais la pire et la plus belle journée de ma vie à affronter! Quelle chao d’émotions! Tôt le matin, on m’emmène pour une amniocentèse. Moi qui avait peur des aiguilles! Mais avec cette immense douleur à l’âme que je ressens, la douleur physique n’a plus aucun sens. Ensuite, Hélène et Mario ont passé du temps avec nous à la chambre. On m’a fait des prises de sang; plusieurs piqûres en raison de mes veines fuyantes et plusieurs tubes pour tous ces tests qu’ils vont faire pour essayer de comprendre. Mes eaux ont été crevées vers 11h30. Je suis dilatée à 2 cm. Ensuite, pour accélérer le travail, on m’a mis sous pitocin. J’ai demandé l’épidural et je l’ai eu vers 13h40. Le travail s’est déroulé assez rapidement. Vers 14h00, Guy et Mimi sont arrivés avec ta tante Catherine et ton oncle Martin. Je suis couchée et je tremble beaucoup, comme si j’avais très froid. À 15h15, je suis déjà dilatée à 8 cm. À 16h35, ils nous laissent ton papa et moi car il est déjà temps de pousser.
Je panique, j’ai peur, je ne veux pas! Et s’ils se trompaient, et si tu étais vivante? …dernier espoir d’une mère désespérée qui sait qu’elle a tort, mais qui paierait si cher pour avoir raison! POUSSE! Comment seras-tu mon bébé? D’accord, l’infirmière nous l’a expliqué; nous avons été assez rapides donc le bébé sera sans doute encore rose, mais avec les lèvres plus foncées… Et si elle se trompait? Si moi je me trompais? Si ça faisait plus longtemps que ça que tu étais partie? Mais non… je me rappelle bien de ton hoquet de dimanche matin! Mais alors, qu’est-ce qui s’est passé ce dimanche-là pour que ton cœur cesse de battre? POUSSE! Pousser? Je n’en ai aucune envie! Et puis, je suis crevée! Je n’ai pas dormi de la nuit, j’ai tellement mal à mon cœur en miettes… je ne veux pas pousser! Et puis, pousser pour quoi? Pour voir ma petite fille sans vie? Souffrir encore un peu plus physiquement et ne pas avoir la récompense tant attendue ces 9 derniers mois? Sans entendre le cri de vie de notre petite fille si désirée, cette petite toi et moi source du grand bonheur que nous vivons depuis que nous comptons à rebours les jours qui nous restent avant de la tenir dans nos bras? POUSSE! Oui d’accord, je me tiens après ces barres chaque côté du lit et je me lève en poussant. Ton papa m’aide en soutenant mon dos. Il a peur lui aussi, mais il reste fort pour moi. Après ces 3 poussées sans ardeur aucune, je commence à me dire que peu importe l’intensité que j’y mets, il faudra bien que tu finisses par sortir de mon ventre. Si je continue à ne pas pousser pour vrai, ce sera plus long! Et puis, ça commence à faire plus mal… POUSSE! Ok, j’y vais! J’ai peur! L’infirmière tente de me rassurer. Mon chum me met de la glace dans la bouche; j’ai tellement soif! POUSSE! Mon chum m’encourage. Je sens ta tête descendre, tu t’en viens! Je suis déchirée entre la peur et l’envie de te voir. Combien de fois t’avons-nous imaginé? À qui ressembleras-tu? Seras-tu belle même si la vie t’a quitté? POUSSE!!!
Il est 17h18. Tu es née. Tu ne cries pas. C’est le silence dans la chambre, ou presque… ton papa coupe ton cordon. Il pleure. Je ne sais plus ou je regarde, je perds le fil quelques instants. Je crois que c’est un peu la panique dans ma tête. L’infirmière t’emmaillote et te dépose sur moi. Tu es toute chaude. Je pose enfin les yeux sur toi et… c’est magique! Tu es si belle! Tout cet amour que je portais pour toi, je le sens me brûler, me transporter! Je t’admire et je t’aime pendant quelque temps ou les minutes ne se comptent pas. Ton père sourit les yeux et le visage pleins d’eau. Nous vivons tant d’émotions contradictoires; ses yeux crient à l’injustice et à l’amour qu’il te porte lui aussi.
Ta grand-mère Hélène est impatiente de te voir. Lors de ta naissance, elle était dans la chambre, derrière les rideaux. Quand elle entend que tu es là, elle nous lance : « Et puis, est-ce qu’elle est belle? ». Dès que le travail de la docteure est terminé et qu’elle nous quitte, je dis à Hélène qu’ils peuvent tous nous rejoindre.
Ils sont tous là et te regardent. Ils te trouvent belle! Si belle… Tu as beaucoup de cheveux! Des cheveux ondulés, châtains foncés. Ils sont si doux… Tu as un tout petit nez! Si petit que ton père dit que la pompe pour aspirer les sécrétions n’aurait jamais pu entrer dans tes narines! Tu es grande, tu as de grandes jambes et les grands orteils à ton papa! Tu as aussi ses belles lèvres et son menton avec un petit creux sous la lèvre inférieure. Nous t’avons observé pendant des heures!
Un aumônier est venu et il t’a ondoyé. Nous avons fait une cérémonie qu’il appelle La cérémonie des Anges. Nous t’avons fait le signe de croix sur le front avec de l’eau bénie. Nous nous sommes tous recueillis quelques minutes pour ton âme qui nous a quitté beaucoup trop tôt.
Avant de partir, grand-mère Hélène, grand-père Mario et grand-mère Mimi ont pris soin de toi; ils t’ont pris dans leur bras, t’ont bercé doucement, t’ont donné des bisous… j’ai même vu que grand-père Mario t’a soufflé quelques mots et t’as chanté une berceuse. C’était si touchant de te voir comme ça dans les bras de mon papa. Quand ils sont partis, nous avons remplis nos yeux et nos bras de toi.
Dans la soirée, une infirmière nous a proposé de te mettre un petit pyjama. Lequel choisir? Dès que ton papa m’a suggéré la petite jaquette rose des jumelles, j’ai su que c’était ce que tu allais porter. Facile à mettre, mais surtout, un petit morceau de vêtement qui a une histoire! Il a appartenu à tes grandes-cousines Charlotte et Juliette qui ont aujourd’hui 21 mois et avec qui tu te serais sans doute bien amusé! Après avoir fait tes empreintes de pied et de main, l’infirmière t’a donc mis cette petite jaquette avec grand soin et nous t’avons encore serré fort contre nous. Lorsque la nuit est arrivée, nous avons décidé de te laisser partir avec l’infirmière. Nous avions l’intention de te revoir le lendemain matin, donc c’était mieux comme ça.
La nuit a été horrible! Vers 3h00, j’ai entendu des cris de bébé qui m’ont réveillé! Mon corps était programmé pour prendre soin de toi. Quand il a entendu ce bébé, il a cru, quelques instants, que ça pouvait être toi. J’étais complètement désorientée quand je me suis réveillée. J’entendais ce bébé, je ne savais plus ou j’étais, était-ce mon bébé qui avait besoin de moi? Quand la réalité m’a rattrapée, j’ai senti tout le vide qui m’habitait; ton absence me faisait souffrir, la douleur avait pris place toute entière dans mon ventre. Je me suis mise en boule et j’ai sangloté. Ton père a tenté de venir me consoler, mais c’est un peu difficile de tenir à deux dans ces petits lits d’hôpital. Il m’a serré fort dans ses bras et je ne sais par quel miracle, il a fini par réussir à me calmer.
Mardi matin, dès notre réveil, nous avons appelé l’infirmière pour qu’elle te ramène à nous pour une dernière fois. Nous voulions passer l’avant-midi avec toi puis aller rejoindre le reste de ta famille dans l’après-midi. Nous t’avons bercé, nous t’avons parlé, nous t’avons serré dans nos bras, nous t’avons photographié et regardé encore et encore. Ton visage, tes mains, tes pieds… Les minutes passaient et nous n’arrivions pas à nous résigner à partir. Finalement, vers 15h00, nous avons demandé à l’infirmière qu’elle te ramène avec elle. Nous avons dû te faire nos adieux. C’était si difficile! Nous t’avions tant de fois imaginée dans nos bras! Jamais nous n’aurions cru que tu n’y serais que quelques heures et sans vie. Ton père me disait : « Tu l’as porté pendant 9 mois, c’est moi qui la porterai les 9 prochains mois! ».
L’infirmière nous a apporté tes petits souvenirs dans une boîte; ton pyjama, ta tuque et tes petites pantoufles de laine, ta pince pour le cordon, ton bracelet et quelques mèches de tes cheveux. Si peu… Nous avons quitté la chambre les yeux baissés afin d’éviter de voir les autres bébés gigotant et criant toute leur vie par leurs petits poumons. Nous avons quitté l’hôpital le ventre et les bras vides. En quittant la maison ce dimanche soir, 14 octobre 2007, je me suis bien demandé si je reviendrais avec mon gros bedon ou bien avec toi, notre petite Lili-Jeanne, dans les bras. Jamais je n’aurais imaginé que tu ne reviendrais pas avec nous et que nous aurions à te faire nos adieux. Que je ne ramènerais qu’une petite boîte contenant tes souvenirs…
Depuis ton départ, nous t’avons présenté à tous ceux qui t’attendaient. Pas de la manière dont nous l’avions rêvés, mais nous l’avons fait quand même. Nous avons montré tes photos, nous en avons de très belles, et tes souvenirs. Nous parlons de toi, de la grossesse que tu nous as fait vivre. Lors de ta naissance, grand-maman Rosanne était en voyage et ta marraine et ton parrain ont été retenus au Saguenay. Ils t’ont donc connu grâce aux photos et à ce que nous avons dit de toi.
Je continuerai d’écrire ton histoire; celle de ces 9 mois pendant lesquels tu as habité mon ventre et pendant lesquels nous nous sommes préparés à devenir de bons parents pour toi.
Nous espérons toujours fonder une famille ton papa et moi. Je dirais même que depuis ton passage dans nos vies, ce désir est de beaucoup amplifié! Je peux te promettre que nous tous qui t’aimons tant, nous perpétuerons ta mémoire; que tes petits frères et tes petites sœurs sauront qu’ils ont une grande sœur qui veille sur eux et je leur raconterai ton histoire.
Je t’aime ma Lili-Jeanne,
Maman Marie-Eve